L’archipel des devenirs – Centre de recherche sur l’utopie
Ce centre est actuellement accueilli au sein LCSP par l’axe « Théorie sociale et pensée critique ». Il est soutenu par l’ED 382 (sociologie, anthropologie, philosophie, histoire, géographie, économie, civilisations) avec le souhait de créer une transversale entre les ED de Paris Diderot, notamment avec l’ED de LAC (littérature, cinéma) et avec le soutien de l’IED pour ses activités doctorales. Il a reçu, pour l’année 2014/2015, le soutien de l’IHP. Le centre a ainsi une base interinstitutionnelle à Paris Diderot tout en cherchant à intégrer des chercheurs et des institutions d’autres lieux de recherche, mais aussi d’autres lieux d’expérimentations en dehors du monde académique. Les explorations proposées concernent plusieurs disciplines : philosophie, sociologie, histoire, histoire et philosophie des sciences, littérature, design, pratiques artistiques.
Il vise à être perçu comme un point nodal dans le monde académique pour une question – utopie et expérimentation ou ouverture de possibles – qui suscite manifestement beaucoup d’intérêt et de travaux de recherche mais de façon dispersée. Il cherche ainsi à générer une synergie de recherche par la mise en place d’un espace de convergence. Et à articuler de façon inédite la philosophie politique avec la littérature de science fiction, à établir des liens entre le monde académique et celui des associations et des expérimentations de sociétés alternatives (militantismes, coopératives, jardins, réseaux, etc.), ou encore à faire dialoguer théoriciens de l’utopie et praticiens des arts utopiques (par exemple le remarquable projet européen d’interfaces artistiques et sociales Kom.post) pour examiner (relever, enquêter, comprendre, expérimenter) la politique réelle des utopies en acte.
Argumentaire
La puissante et conflictuelle polyvocité de l’utopie traverse et relie des savoirs, expérimentations, histoires, communautés, critiques et dénonciations très divers. Les discours dénonciateurs, qui y voient un lieu idéal, rêvé, figé, voué dans sa forme même à l’échec, tentent d’en étouffer l’effervescence. Les utopies seraient au mieux inutiles puisque impossibles, au pire dangereuses car porteuses de germes totalitaires.
Nous considérons au contraire que l’utopie ne peut se réduire à une forme de rêvasserie naïve qu’il faudrait soumettre aux médecins de l’ordre, seuls capables de distinguer la réalité de l’imaginaire et de séparer la pesanteur matérielle du monde de la légèreté démocratique des mots. Nous rejetons cette « haine de l’utopie » et les responsabilités qu’elle lui impute. Quoi qu’il en soit, sa tête est ailleurs et n’a pas de temps à perdre – d’autant que ses projets s’étalent chaque fois sur toutes les dimensions temporelles et ne cessent de faire proliférer des potentialités, des lignes de fuite et des devenirs. L’utopiste ne se laisse pas distraire par les experts soucieux d’administrer le monde en fonction de ses « réalités » et de ses seuils d’impossibilité. Il préfère s’engager dans l’esquisse de nouvelles cartes du possible, expérimenter des possibilités de vie, décodifier les parcelles de l’ordre social pour recomposer ses territoires et redéfinir les mots ordonnateurs des discours consensuels. Notre conviction première est que l’utopie relève de l’ordre d’une expérimentation irréductiblement politique.
Ainsi, l’utopie n’est pas le modèle de la société parfaite qu’il ne resterait qu’à fabriquer en pratique. Elle est traversée de tensions, de brèches, de dimensions non-totalisables qui ne prennent vie qu’à travers des ouvertures fragiles et des modes d’inventivité créant de nouveaux possibles – souvent même dans des situations morose et épuisantes, dans des contextes de fatigue et de conservatisme. Elle fait jouer des excès à travers ses expérimentations littéraires, architecturales, sociales, industrielles, cartographiques, corporelles et politiques. Elle s’insère dans des paysages sociaux et politiques pour agencer des « ici et maintenant » qui ne se laissent pas réduire aux coordonnées et aux codifications de l’ordre existant, entamant des pratiques qui brisent, fracturent, reconfigurent, projettent, reterritorialisent, construisant des « paysages du possible » dissensuels et inventifs.
Nous voudrons examiner les lieux, les dynamiques, les temps, les écritures et les politiques de ces expérimentations utopiques à travers une approche pluridisciplinaire reliant philosophie, littérature, sociologie, science politique, histoire et pratiques artistiques.